L’art pour tous, une nécessité

Loin de l’image de l’artiste coupé du monde, loin aussi du tumulte féministe, Nawal Sekkat est une artiste peintre profondément ancrée dans son époque, dont la peinture se nourrit du monde qui l’entoure. Une artiste à la démarche éminemment positive, qui a choisi de participer à l’essor formidable de son pays, armée de ses pinceaux et de cette envie d’un changement constructif. Entre engagement et création, elle a co-fondé l’association Ambre Maroc pour la promotion de l’art et de la culture marocaine. Entretien avec une artiste qui a fait sienne cette belle maxime : « la culture n’est pas un luxe, c’est une nécessité ».

1. En quoi votre peinture est-elle le reflet des changements qui caractérisent le Maroc d’aujourd’hui ?

L’artiste ne vit pas dans une bulle fermée et aseptisée ! Ce qui m’entoure ne me laisse pas indifférente. Je choisi des parcelles de certaines entités, que je mets en accord avec mes sentiments profonds, pour les traduire en peinture. Je me nourris du passé autant que du présent. Aujourd’hui est fait d’hier, c’est aussi la base de demain. Ma peinture porte l’empreinte du temps, de l’usure, de la transcendance, de la transformation. Je me sers du passé pour créer le présent. Il faut mettre son énergie dans la construction, pour plus de tolérance, de respect de l’être dans sa globalité. Le Maroc évolue dans ce sens. Chacun dans son domaine se doit d’apporter quelque chose pour aider les mentalités à s’adapter à cette ouverture. Certes, il y a des résistances, mais qui ne freinent aucunement cette évolution, cela nous renforce. Le processus de changement est lancé. Et parce que beaucoup d’Hommes sont engagés dans le même sens, rien ne l’arrêtera.

2. L’éducation que vous avez reçue vous prédisposait-elle à l’engagement culturel ?

Mes parents n’étaient pas engagés artistiquement, mais plutôt culturellement à leur façon, ils nous ont appris, à mes frères et moi, que si l’on n’a rien dans la tête, on ne peut pas réussir. Mon grand-père maternel était un homme de grande culture, poète, écrivain et doyen de la faculté de théologie de Fès. Ma conscience citoyenne s’est éveillée naturellement, en œuvrant et en travaillant. Le chemin s’accomplit en marchant, au gré des péripéties. C’est d’ailleurs dans cet esprit que j’éduque mes enfants, en leur inculquant cet amour de la culture, en leur expliquant que la vraie richesse ne s’achète pas, tout en leur laissant la liberté de choisir leur chemin. L’enrichissement qui résulte d’une discussion avec une personne d’une autre culture, d’une autre génération, n’a pas de prix. Quand les mots circulent, les choses se dénouent.

3.Les femmes de votre famille ont-elles constitué des modèles pour vous ?

Sans aucun doute. Ma mère ne travaille pas mais elle est très cultivée, elle m’encourageait sans cesse à lire. Quant à ma grand-mère maternelle, elle a appris à lire et à écrire avec mon grand-père. La majorité des femmes de ma famille ont étudié et sont actives. La femme marocaine a percé, rien ne doit la freiner ni l’infantiliser ou l’obliger à faire des choses qu’elle ne souhaite pas faire. Quand une femme est épanouie cela se ressent dans ce qu’elle transmet autour d’elle. Travailler et exister par soi-même sont des droits.

4.Votre engagement se traduit aussi dans l’associatif, comment est née Ambre Maroc ?

L’association Ambre Maroc a été fondée en 2006, à la suite d’une rencontre avec la directrice d’Ambre International. Nous avons alors décidé de construire un échange artistique entre le Maroc et la France. Les mots clés sont le dialogue interculturel et intergénérationnel par la promotion de l’art et de la culture marocaine au niveau national et international.

5.Quels sont les objectifs de l’association ?

Le but est de faire découvrir notre culture, d’exporter son art, de susciter des échanges entre artistes. Ambre Maroc compte parmi ses membres des engagés dans l’art sans être artistes plasticiens, des personnes pour qui cet aval est nécessaire pour note pays. La première année, nous avons privilégié les échanges franco-marocains. En 2008, le thème était l’art andalou. En 2009, l’Italie est à l’honneur, en partenariat avec studio Ambre Italia. Des liens forts se tissent au gré des rencontres, qui perdurent par la suite.

6.Vous œuvrez aussi à sensibiliser les enfants à l’art dans le cadre d’Ambre Maroc?

Il faut amener l’art entre leurs mains, développer leur fibre artistique, les sensibiliser à d’autres moyens d’expression. Chaque année, nous mettons en œuvre des projets de création artistique pour les enfants. Au cours de l’un d’eux, nous avons invité des enfants hospitalisés à créer leurs propres œuvres à partir d’un même croquis réalisé par des artistes. Les réalisations ont ensuite orné les murs des établissements. Le passage à l’hôpital n’est ainsi plus marqué par la maladie mais par cet évènement créatif. La deuxième action s’est adressée aux enfants du monde rural de la province d’Essaouira. Omar Bouragba , Houssein Miloudi, Ahmed el Hayani, Mohamed Boustane et moi-même avons animé des ateliers, au cours desquels les enfants ont été invités à exprimer le monde qui les entoure, sur le thème de l’identité culturelle, participant ainsi à la sauvegarde de la nature et devenant acteurs du changement. Les œuvres ont été exposées pendant le festival gnaoua d’Essaouira. Nous tenons beaucoup à ce que leur travail soit valorisé de cette façon, et que les enfants prennent conscience que l’activité de création se poursuit au-delà de l’atelier.

interview VH