Il faut bien le reconnaître : pendant des siècles, l’histoire de la peinture a d’abord été une histoire d’hommes racontée par des hommes. Il a fallu patienter jusqu’à la fin du XIXe siècle pour que quelques femmes peintres accèdent à la notoriété et jusqu’au milieu des années 70 du XXe siècle pour que des historiennes remettent à une plus juste place les femmes peintres dans l’histoire de l’art. Beaucoup reste à faire. Si Artemisia Gentileschi et Sofonisba Anguissola ne sont plus tout à fait des inconnues pour le grand public, qui se souvient de Catherine Duchemin, première femme admise à l’Académie royale de peinture sous Louis XIV ? Qui se doute qu’un certain nombre de peintures de Franz Hals sont probablement de la main de son épouse et que ce cas est loin d’être isolé ? Aujourd’hui encore être femme et peintre demande une réelle force de caractère sous toutes les latitudes.
Nawal Sekkat est habitée par cette force, cet acharnement, qu’elle traduit par matière et couleur travaillées en contraste. Verticalité de la construction du tableau. Rectitude de ses éléments. Force de l’assise. En un mot : solidité. Ensuite, la caresse du pinceau sur la toile produit un effet vaporeux, un sfumato personnel, qui tempère la vigueur du propos, lui offre un peu de douceur. « Chaque toile a son secret, déclare Nawal Sekkat quand on l’interroge sur son travail. Comme tout artiste, je suis sensible à ce qui se passe autour de moi. » Elle semble ne pas vouloir en dire plus, quand elle lâche : « Disons qu’il s’agit d’une démarche intellectuelle liée à ma vie de femme marocaine. » La vie d’une femme, voilà donc le dessein. Ces ocres et ces camaïeux de gris qui s’appuient sur des rouge sang comme des brisures transcendées, révèlent toute la féminité de l’œuvre. Une féminité écartelée, déchirée, entre ciel et terre, entre chair de vie qui donne la vie et envie d’envol. Une féminité expressive.
Les œuvres de Nawal Sekkat ne sont pas non figuratives, mais imagées, dans le sens où elles sont, non des constructions mathématiques ou intellectuelles pures, mais les reflets d’un imaginaire fécond, d’une expression, en quelque sorte l’esprit d’une âme. « Après avoir longtemps été figurative, explique-t-elle, j’ai trouvé ma voie vers l’informel, mais seulement après beaucoup d’acharnement. »
Pour s’exprimer, Nawal Sekkat conjugue les matières et agence les formes comme l’écrivain les verbes et les mots. Elle peint, colle, déchire, réinstalle inlassablement ses éléments sur sa toile jusqu’à obtenir l’équilibre recherché. L’utilisation de feuilles de cuivre ou d’argent dans ses petits formats renoue avec la tradition ancienne où la lumière était donnée par ces couleurs et non par le blanc. Et quand la toile ne lui suffit plus, Nawal Sekkat utilise le support de tapis traditionnels marocains pour son travail. Avec ce palimpseste, elle trace un lien dans le temps entre l’œuvre support tissée par des mains anciennes et anonymes et son travail signé contemporain.
L’énergie qui rayonne des œuvres de Nawal Sekkat nous rappelle que peindre, créer, ne peut se faire sans passion. Ce n’est pas une leçon, juste un bel exemple.