Dans le récit d’Alice au pays des merveilles, on voit le corps d’un chat disparaître à partir de la queue et à un moment, il n’en reste plus que le sourire. Chez Nawal Sekkat, c’est aussi ce qui arrive aux jeunes femmes, toutes très belles, qui ont posé pour elle comme modèles. On n’en perçoit plus désormais qu’une simple silhouette, un galbe évanescent, un trait de visage, l’esquisse d’un sein, l’ombre d’une gorge. Mais il ne faut pas s’arrêter aux apparences, à ces corps sensuels qui peuvent être aussi masculins si on regarde avec plus d’attention. La beauté de ces formes peut interdire d’accéder à des vérités plus essentielles que l’artiste exprime ici, comme antérieurement, dans des déchirures. Mais, alors que jusqu’à l’an dernier, Nawal Sekkat utilisait exclusivement la toile et le papier, elle n’hésite pas à travailler désormais sur de la feuille d’aluminium, parfois de très grande taille, afin d’obtenir des effets différents de brillance et non plus seulement de transparence. Elle donne aujourd’hui une importance beaucoup plus grande à la lumière et crée des ciels veloutés qui évoquent, Le Greco. On pourrait également penser à Turner. Elle supprime la feuille d’or, recherche en permanence un équilibre entre les brillants et les mats.
Tout cela pour dire quoi ?
La réponse est simple : comme les parties absentes des corps qui se trouvent dans d’autres tableaux. On peut commencer par le bœuf écorché de Francis Bacon si on souhaite avoir une piste que proposa un jour Michel Hergibo. Nawal Sekkat peint avec une force remarquable. Elle appartient ainsi à la famille artistique de Chaïm Soutine lorsqu’elle met du chaos dans les formes. Ou à celle de Rembrandt, autre auteur d’un bœuf écorché, lorsque les formes disparaissent dans un gouffre de lumière. Nawal Sekkat nous fait assister, dans cette exposition, à un lever de couleurs comme on pourrait assister à un lever du jour. On ne peut passer à côté de cette grande artiste.